Le Bulletin #12

LE DISQUE

OPUS / Ryuichi Sakamoto (2024)

Le dernier disque de Ryuichi Sakamoto est un adieu murmuré du maître, tout en pudeur, enregistré en une seule prise dans un studio vide. Ce piano seul condense une vie entière de musique, avec une grâce silencieuse qui bouleverse.

Également conçu comme un projet testamentaire, Opus a été filmé par son fils, Neo Sora, dans les derniers mois de la vie de Sakamoto. On y entend le souffle court, le corps fatigué, mais aussi une lucidité poignante. Chaque morceau est une respiration retenue, un souvenir revisité — Merry Christmas Mr. Lawrence, The Last Emperor, Energy Flow… autant d’instants rejoués dans une lumière nouvelle.

LE MUSÉE

MUSEO ARTE ORIENTALE / Venise

Niché dans les étages supérieurs de la Ca’ Pesaro, le Musée d’Arts Asiatiques de Venise est un de ces trésors silencieux. La collection, rassemblée par le prince Enrico di Borbone au début du XXe siècle, est une merveille. Armures de guerriers japonais, sabres aux montures exquises, lances et hallebardes s’entourent ici d'estampes d’une finesse saisissante et d’objets du quotidien —

La mise en scène séduit tout autant que les collections : inchangée ou presque depuis les années 1950, telle que pensée par l’architecte Carlo Scarpa. Vitrines de bois sombre, éclairages doux, rythmes feutrés — chaque détail participe à cette atmosphère de découverte et de recueillement et d’admiration de ce que ces cultures ont su créer de plus abouti en termes d'artisanat.

LE COCKTAIL

LE GREENPOINT

Quand les jours s’allongent et que l’air devient plus doux, l’envie arrive d'un cocktail qui garde un pied dans l’hiver et l’autre dans le renouveau. Le Greenpoint est un dérivé du Manhattan : rugueux, mais élégant. Rye whiskey, vermouth doux, une pointe de Chartreuse jaune pour le côté herbacé. Un citron twisté sur le dessus, et tout de suite, quelque chose d’un peu solaire s’invite dans nos verres.

Un cocktail de transition, comme un vestiaire de mi-saison. Parfait pour saluer l’arrivée du printemps sans oublier ce qu’il y a derrière.

• 60 ml de Rye whiskey
• 15 ml de vermouth doux (Sweet Vermouth)
• 15 ml de Chartreuse jaune
• 1 à 2 traits de bitters (Angostura + Orange bitters, idéalement un trait de chaque)
• Zeste de citron (pour le twist final)

LE FILM

L'ESPION QUI VENAIT DU FROID / Martin Ritt (1965)

Ici, l’espionnage n’a rien de glamour. The Spy Who Came in from the Cold est un film d’ombres, où tout est question de loyautés floues, de doubles jeux et de fatigue morale. Adaptation du roman éponyme de John le Carré publié en 1963, Richard Burton y incarne un agent usé, désabusé, à mille lieues du mythe de James Bond. Le genre d’homme qui a trop vu, trop fait, et qui continue pourtant, par habitude ou par cynisme.

Le noir et blanc glacé renforce cette ambiance de fin de course. Tout est feutré, tendu, remarquablement écrit. Pas un mot de trop, pas un geste gratuit. On y sent la guerre froide dans ce qu’elle a de plus intime : pas seulement géopolitique, mais émotionnelle.

Un film qui ne séduit pas par la surface. Il s’impose lentement, comme une vérité qu’on aurait préféré ignorer.